L’avion, c’est un fer à repasser qui vole.

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     C’est l’heure de l’embarquement. Il est désormais temps de prendre son courage à deux mains (ou de prendre un cacheton de Lexomil) et d’entrer dans le sas qui nous relie à l’avion. Cette fameuse passerelle entre le monde terrestre et céleste, sorte de brèche spatio-temporelle témoin de notre dernier moment en ce bas monde. C’est presque par magie qu’à l’issue de ce sas – qui pire que de nous emmener dans une maison filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept – débouche en réalité sur l’avant de l’appareil.

      C’est le moment de jeter un œil dans la cabine et de faire un bilan complet de l’état de santé des pilotes. La première épreuve est de survivre au constat que le pilote a au moins 137 ans et qu’il est en train de roupiller sur son siège. Car il n’est pas n’importe quel travailleur qui s’endort 20 minutes devant Elise Lucet au 13 heures afin d’être d’aplomb pour son après-midi de travail. Non, le job de ce mec, c’est de ne pas faire mourir les autres. Premier moment de panique. Ce sentiment qui ronge d’aller réveiller papi pour lui asséner qu’on lui confie sa vie, rien que ça! Après avoir refoulé cette pulsion qui si elle se concrétisait nous ferait passer pour un con, commence la phase du développement inconscient de stratégies afin de s’auto-rassurer.

      La vue sur l’aile de la machine est l’occasion d’en scruter les moindres détails et de guetter tout ce qui paraît louche dans l’assemblage des différentes pièces, comme si l’on était ingénieur en aviation depuis des années, capable de déceler les éventuels problèmes techniques. Ceci procure au moins l’auto-satisfaction tout à fait artificielle d’avoir le contrôle sur ce qu’on est en train de vivre.

     Le moment passé dans l’avion est fort de considérations philosophiques. Il donne lieu à la formulation d’insultes envers soi-même sur son haut niveau de stupidité et son insouciance candide : « Mais qu’est-ce que je fais là ? » « Pourquoi n’ai-je pas pris le train, le bateau, fait du stop, loué un dromadaire ? » « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? ». Pour Hobbes, l’individu renonce à une part de sa liberté qu’il confie à l’Etat afin que ce dernier assure sa sécurité – enfin, un truc dans le genre. Dans un avion, on autorise au contraire une confiscation totale de sa sécurité par le pilote, en échange d’un morceau de liberté : faire Paris-Berlin en 1 heure 23 minutes. L’avion serait donc un Léviathan inversé. Preuve en est, l’avion ne navigue pas sur l’eau mais flotte bien dans les airs.

Le clin d'oeil à FFVIII est en bonus

Le clin d’oeil à FFVIII est en bonus

    

      Etre seul parmi la foule. Ceci s’applique tout à fait à un voyage en avion, même si le surinvestissement de son cerveau à cause du stress peut amener à des formes de schizophrénie. Toutefois, on peut quand-même se servir des autres pour faire descendre un tant soi peut la pression. Il suffit de regarder attentivement les faciès des passagers habités par le démon de la peur pour se dire que, quand-même, il y a pire que soi. La vue des faux téméraires qui font semblant de lire pendant le décollage pour faire comme si ça leur était égal est aussi source de réconfort, lorsqu’on a compris la mascarade.

      Et là, début de la troisième guerre mondiale. Les moteurs ronronnent et la bête colossale se met en marche. « Armement des toboggans » ; non mais il nous prennent pour qui ? N’ont-ils rien trouvé de mieux pour nous rassurer que des toboggans, comme à la piscine ? Et pour plonger où d’abord ? La crédibilité de la dame qui gigote ses bras dans tous les sens en parlant de toboggans en plastique jaune comme gage de la sécurité de l’ensemble des passagers de l’avion laisse perplexe. Heureusement que pour le vol, il reste les gilets de sauvetage en-dessous des sièges. Se persuader alors que le fameux « gilet de sauvetage » possède une option parachute, ou que finalement on a confondu les deux mots. Peut-être même qu’il y aura des Grands Aigles des Monts Brumeux dans le coin, on ne sait jamais.

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      Le pire moment arrive. Le monstre d’acier accélère, déploie ses ailes et s’envole dans les cieux en suivant une diagonale à l’inclinaison continue et parfaite. Il faut désormais se convaincre que non, notre petit cœur qui bat pourtant si fort et qui reste cloué au siège à cause de la propulsion ne va pas exploser. Ca n’explose pas comme ça un cœur humain, après tout. L’ « arrivée » au-dessus des nuages et le retour à l’horizontale nous laisse un moment de répit et de soulagement d’environ un quart de seconde, soit le temps de se rendre compte que non, nos petits pieds ne toucheront pas le sol, le vrai et pas celui qui flotte dans les airs, de si tôt.

     Ajouté à cela le bouchage semi-complet des oreilles, c’est le désemparement le plus total. Notre solitude dans le malheur et le diktat de l’angoisse nous pousse à observer de temps à autres les hôtesses et stewards « chargés de notre sécurité ». Mais si vous savez, les chargés de sécurité, ceux dont le petit pims rouge peut vous sauver la vie en cas d’accident et de chute de l’avion à 10,000 mètres d’altitude et à 800 kilomètres/heure. Leur expression faciale – à nouveau – apparaît comme une jauge de la proportion à crier hystériquement qu’on va tous mourir.

      L’arrivée du chariot d’en-cas et boisson est un petit réconfort qui nous fait dire que le marketing n’est pas si mauvais. Le concept « gavons-les pour qu’ils arrêtent de réfléchir » est bien pensé, je le concède. C’est le moment, après avoir exploré le champ des possibles, de commander du jus de pomme et un sandwich oeuf-salade. Et de s’apercevoir quand le chariot nous a dépassé qu’ils avaient du coca dans une petite canette cachée dans un tiroir, si si, le mec de derrière vient d’en prendre un. Un malheur n’arrive en réalité jamais seul. La dernière occupation à l’aspect positif non négligeable qu’il nous reste étant de regarder les villes à taille humaine, il est temps de se pencher sur le hublot pour admirer la vue. Malgré un froncement de sourcils qui donne l’air intelligent, l’épaisse couche de nuages et de brouillard met fin à l’opération. Qu’est-ce que je disais déjà, sur cette histoire de malheur ? Heureusement l’épuisement prend le pas sur le reste et permet enfin de s’abandonner un instant grâce à une sieste ; quand le pilote annonce le début de l’atterrissage.

Qu’on en finisse.

Et pendant ce temps là, à la porte F26 de l’aéroport Charles de Gaulle 2.

     C’est depuis l’aéroport que je me décide à blablater sur ma vie.

      Les sandwiches à l’oeuf d’Airfrance ne sont certes pas mauvais, mais ce n’est pas une raison pour faire partir tous ses vols avec du retard. C’est la deuxième fois que je me retrouve assise au terminal de ce cher Charles, à contempler les flux internationaux de personnes. Je m’adonne donc à mon jeu favori : il suffit de sélectionner un de ses camarades d’attente interminable, de le scruter de haut en bas et de deviner, en se fondant sur des critères tout à fait arbitraires et inconsistants – tels que la couleur de cheveux et le degré de bronzage post-vacancier – d’où il vient, où il va et surtout, pourquoi il y va.

      L’heure est plutôt à la nostalgie alors que je m’apprête à reprendre la route des airs pour Berlin. Le retour dans la famille pour les vacances de Noël est une véritable bouffée d’air frais, mais au moment du départ, c’est particulièrement dur. J’ai depuis que j’ai quitté ma maison il y a 3 ans toujours l’impression d’être sur la route. Les quais de gare, la bouteille de Coca Light Relay et le moelleux au chocolat au prix outrageux de l’ami Paul sont presque devenus mon deuxième foyer.

      Mais je ne suis pas du genre à me laisser abattre, et j’essaie toujours de positiver. Je le sais, cela ira tout de suite mieux lorsque je poserai mes pieds sur le sol berlinois. Mais entre ce que l’on sait, ce qu’on voudrait se voir faire, et ce qu’on fait, il y a un fossé de la taille du no-man’s land entre Ost- et Westberlin. Et puis, si je n’avais pas eu ce moment de nostalgie, je n’aurais sûrement pas saisi mon clavier pour raconter mes aventures.

      Cette année le Noëlan fut un grand cru. Pour les profanes, le Noëlan est un terme breveté désignant par une contraction savante une période de non-sens s’écoulant entre les bornes chronologiques du 24 décembre au soir et du 1er janvier au mati.., enfin au mid..; disons jusqu’au soir du jour de l’an, qui n’a donc plus rien d’un jour puisqu’on ne le voit même pas. Tout aussi scabreux que sa tentative de définition, le Noëlan dans son contenu consiste en une semaine de fête en continue, caractérisée à la fois par un coucher et un lever tardifs de ses membres. Cette manifestation a le plus souvent lieu dans un endroit appelé « Le Couchant » – vous apprécierez le décalage ironique entre le nom de l’endroit des hostilités et la teneur de l’évènement, dont le trait caractéristique fondamental vient d’être énoncé ci-dessus. Détrompe-toi cher lecteur, loin d’être dépourvu de toute activité intellectuelle, le Noëlan est l’occasion pour ses participants de défier leur culture générale acquise tant bien que mal d’une année sur l’autre pour épater la galerie l’année suivante, autour d’un jeu à la notoriété scientifique incontestable et au célèbre Gros Miam d’animateur: le « Questions pour un Champion ». L’usage coutumier du « Burger Quizz » a été mis de côté en raison d’évènements douteux liés à la pratique de ce jeu, et dont les fondements rationnels sont jusque lors inexpliqués. En outre, véritable « moment culturel », le Noëlan est l’occasion de rites séculaires et séculiers autour d’un totem en plastique rouge : le dodo.

     Il faut parfois savoir ne pas se perdre dans les détails surtout lorsque tout ce qui sera dit pourra être retenu contre soi, je n’irai donc pas plus loin.

     Je suis maintenant rentrée dans ma capitale allemande qui me plaît tant. L’endroit m’est familier, comme ce S-Bahn à la fréquentation hasardeuse, en particulier lorsqu’on approche de Warschauer Strasse un soir de week-end, à des heures où l’ont ferait mieux de faire coucou à Morphée. Il ne s’agit donc plus de plonger dans un univers tout à fait inconnu mais bien de retrouver et de prolonger ses petites habitudes de Berlinoise accomplie – 4 mois d’existence en ville tout de même !

     Les Vosges, Paris, Strasbourg, Berlin, la vie est faite de voyages, de rencontres (im)probables et de valeurs sûres. Le Noëlan et les gens qui lui donnent vie sont mes valeurs sûres.

     Berlin me semble bien calme en ce lundi soir, la pauvre ne s’est sûrement pas encore remise de son Noëlan.

2012-12-25 03.37.22