Once upon a time in America

   

      J’ai décidé de voler à d’autres un bout de leur mobilité. La Freie Universität de Berlin nous offre presque deux mois de quasi-vacances. Sur le papier, c’est un laps de temps servant à la rédaction des devoirs à rendre pour le premier semestre. Mais vous le savez, il y a toujours un décalage entre l’expectatif et la réalité. Ah oui, j’ai parlé d’un double-diplôme ? A quel moment?

      J’en ai donc profité pour m’envoler vers le « Kanada », faisant de ce dernier le pays témoin de ma première expérience en terre américaine.

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       Je découvrais donc le pays en même temps que le commissaire Adamsberg de mon roman de Vargas emporté de France : Ottawa, la rivière de l’Outaouais, Gatineau. Ne revendiquant pas l’omniscience du narrateur, je vous avouerais qu’avant de me rendre sur place, je ne connaissais que (trop) peu de chose du Canada. Déjà l’immensité du pays sur la carte allait au-delà de ma capacité à me le représenter. Il ne s’agit là pas d’un mythe mais sans doute d’une exagération, j’avais emporté les pulls de grand-mère (oui, ma grand-mère que j’appelle « grand-mère » me tricote des pulls trop cool et tout parce qu’elle est trop cool et tout). Et finalement ma température corporelle n’a pas atteint les zéro degré et je ne ne me suis pas transformée en bloc de glace comme je l’avais pourtant prédit. Ironie du sort, je crois même qu’il a fait plus froid à Berlin. Arrêtons-nous là sur la discussion météo, qui intervient généralement au cours d’une conversation lorsqu’il n’y a rien d’intéressant à dire. Hum.

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     Je ne voudrais pas sombrer dans un article « le Canada c’est génial la France elle est trop naze », ou à l’inverse un article vantant les mérites du français développé et ayant entre autre le monopole de la langue française légitime (d’autres s’en chargent pour moi). Parlons-en de la langue ! La répartition linguistique est constitutive du Canada, elle structure le pays. Il est intéressant de constater une hostilité certaine entre les canadiens anglophones et francophones. Schématiquement, il y aurait : les canadiens anglophones et c’est tout, les québécois francophones et c’est tout, et les paumés qui correspondraient aux francophones anglo-friendly. C’est là mon avis, je pense qu’il existe un sentiment sans doute inconscient d’auto-suffisance de la langue anglaise. Tous les canadiens savent parler l’Anglais, mais les anglophones n’ont pas forcément de connaissance en Français. Ce phénomène parmi d’autres a entraîné un renfermement des québécois « pure souche » autour de la langue et de la culture française, refusant parfois l’utilisation de tout mot anglais (ce qui explique les traductions douteuses telles que « toast » qui deviendrait « rôti » (on parle bien de la tranche de pain de mie qui a fait un tour au grille-pain). Au milieu, les franco-ontariens (les francophones de la région Ontario) et les québécois « modérés » peinent à poser les bases solides d’une existence culturelle et identitaire.

     

     J’ai pu en un mois parcourir le pays et même franchir la frontière étasunienne. J’ai donc eu droit au fameux bouts de papier vert et aux questions pertinentes et aptes à neutraliser les terroristes potentiels à la frontière telles que : « […] entre 1933 et 1945, avez-vous participé en aucune façon à des persécutions perpétrées au nom de l’Allemagne nazie et de ses alliés ? ». Toutefois, l’arrivée dans le bus du gorille de la douane à l’accent américain qui vous pose un tas de questions indiscrètes est, je dois le dire, plutôt impressionnante. Aux Etats-Unis, on ne rigole pas, ni avec la sécurité, ni avec l’immigration; on l’aura bien compris. Heureusement le portrait d’Obama dans le poste de frontière adoucit un tant soit peu l’atmosphère..

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          * Montréal m’est apparue comme une ville agréable à vivre, à mi-chemin entre la grande ville et le village. La nature résiste aux buildings et la ballade au Mont-Royal est une véritable transhumance miniature (le calme des sentiers haute-saônois déserts en moins et la tonne de touristes en plus).

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          * Toronto est une ville surprenante. Une New-York en puissance, avec un lot de gratte-ciels dignes de ce nom. Mais lorsqu’on fait face à l’étendue de nature que constitue le lac, on sait qu’il s’agit bien d’une ville canadienne qui offre la possibilité de respirer.

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         * Et j’ai eu l’occasion de visiter New-York, ville démentielle et magnifique qui mériterait un article – un blog entier ? – à elle toute seule. La démesure américaine est palpable, mais la configuration de la ville entre buildings immenses, coins verts et structure insulaire rend NYC belle et agréable à vivre.

      Au retour, je suis seule dans le bus, en compagnie de mes tonnes de bagages. Le bus entier est aux petits soins pour la petite jeune dont le retour en France a été révélée grâce à la curiosité d’un des passagers. Le conducteur lui-même me demande si je suis bien sûre de savoir où se trouve la station de bus et me donne l’itinéraire. Ma voisine me le répète pour s’assurer que j’arrive à bon port. Je ne voudrais pas généraliser sur la mentalité canadienne suite à quelques expériences, mais c’est en tout cas un sentiment de bienveillance que je garderai de ces habitants.

      Je m’aperçois que j’ai encore un millier d’anecdotes à partager alors que j’en ai déjà bien trop dit. Je vous épargne donc la rédaction de paragraphes sans air et vous fait la liste de choses typiques qui ont marqué mon voyage au pays-du-caribou-en-folie:

  • Le rayon de supermarché consacré aux cheddar, blocs de gouda sans goût, le tout à 7$ minimum.

  • Le rayon fruits et légumes OGM où la pomme est couleur pomme d’amour sauf qu’il manque le « d’amour ».

  • L’ambiance à l’américaine conférée par les feux routiers jaunes suspendus.

  • L’inexistence de l’expresso au Tim Horton’s et au Second Cup (mais des muffins à 1$49!)

  • Le bar qui fait karaoké le jeudi soir où les étudiants chantent à tue-tête les Backstreet Boys.

  • Le prix – de n’importe quoi – déjà exorbitant encore plus exorbité par l’ajout des taxes et des « tips ».

  • Le bus Greyhound, et même que ça veut dire « lévrier » en Anglais.

  • Les pancakes au sirop d’érable.

  • L’omniprésence des écureuils, véritables pigeons canadiens.

  • La découverte d’une différence entre l’accent franco-ontarien et l’accent québécois.

  • La taille XXL des sodas à 80 cents.

  • Les bus scolaires et les taxis jaunes.

  • Le Cream Cheese Bagel.

  • Les rues habitées par des petites maisons elles-mêmes habitées par des étudiants.

  • Le déblayage des rues canadiennes par des engins qui n’existent qu’au Canada la nuit.

  • La poutine.

Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Notre voyage effroyable est terminé

O Captain! My Captain! our fearful trip is done;

Le vaisseau a franchi tous les caps, la récompense recherchée est gagnée

The ship has weather’d every rack, the prize we sought is won;

Le port est proche, j’entends les cloches, la foule qui exulte,

The port is near, the bells I hear, the people all exulting,

Pendant que les yeux suivent la quille franche, le vaisseau lugubre et audacieux.

While follow eyes the steady keel, the vessel grim and daring

Walt Whitman

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