Berlin, c’est pas Paris

Venir de là-haut. Se sentir comme Keanu Reeves, perdu dans la matrice, les yeux bandés, lorsque toute la ville depuis le ciel n’est que lumière. Commencer l’atterrissage, débarquer, chercher la sortie, avoir du mal à s’orienter lorsque son repère linguistique maternel s’est évaporé.

Berlin, c’est pas Paris. Oui, c’est profond, vous allez me dire. Mais n’est-ce pas le premier réflexe, devant l’inconnu, de comparer à ce qu’on connaît?

On s’y sent tout de suite bien dans cette ville qui paraît chaleureuse et conviviale. Pas aussi belle que Paris, mais peut-être plus accessible.

Le premier jour du reste de ta 3A. Si je n’avais qu’un seul conseil, ça serait celui de ne pas cogiter. Il faut sortir, louer un vélo, faire un tour de la ville, s’émerveiller. Rassembler tous les éléments pour pouvoir se projeter, pour que la ville devienne ta ville.

Berlin, ou comment multiplier par dix cette pourtant si petite distance sur la carte… Cette ville, aînée de Paris de neuf fois par sa taille, est une immense étendue de tout et de n’importe quoi. Des trésors : le Bundestag, quelques vieux bâtiments, des églises, certains musées. Mais c’est aussi et surtout le nid de bizarreries architecturales dont l’ensemble produit un patchwork sans grande cohérence, mais très original.

Voir les jours passer (qui a dit « galérer »??), et se rendre (enfin) à sa première visite de coloc, de « Wohngemeinschaft ». Tomber sur ça:

(…comme c’est charmant… [je vous épargne le topo sur l’Allemagne de l’Est et ne vous précise pas que je n’ai pas emménagé dans cet appart…])

Etre seule. Commencer à repérer les décalages culturels.

Arriver à un feu rouge et s’arrêter. Rester ébahie par la scène qui se passe sous ses yeux. Ce sont bien dix allemands, plantés de l’autre côté de la rue à attendre patiemment que le petit bonhomme se mette au vert. Un coup de tête à droite ; pas une voiture. Un virage à 180 degrés, toujours personne. Et rien. Il faut attendre, car la règle, c’est la règle, et le petit bonhomme a toujours la rougeole. Sûrement les 30 secondes les plus longues de ma vie. Esquisser un sourire et se fondre dans la foule disciplinée.

Sourire bêtement à la vendeuse de Brötchen qui n’attend de vous qu’une réponse à sa question. Surmonter les blancs qui décorent les conversations avec dignité.

Rencontrer des français(es) très cool et souffler un peu. Peut-être la facilité, mais c’que ça fait plaisir de se retrouver, se raconter.

C’est bien une année Erasmus (enfin presque), qu’on est en train de vivre. Les rencontres, les sorties, (qui a dit « la drague »??) tout est tellement plus facile, plus léger, plus évident. Quel bonheur, de pouvoir s’extirper le temps d’un séjour du (trop)sérieux parisien.

Etre en terre inconnue et avoir ce sentiment rare, que l’étranger pour une fois, c’est soi.

L’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien

L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur

L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des-fois-qu’il-irait-les-boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains

L’Autre :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel
Puisque, pour Lui, l’autre
C’est toi.

Robert Gélis